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Mise en œuvre des critères pour procéder à la mise en balance entre le droit à la protection de la vie privée et le droit à la liberté d’expression

Affaires - Immatériel
Civil - Personnes et famille/patrimoine
15/10/2019
La Cour de cassation considère, dans un arrêt du 10 octobre 2019, que l'atteinte portée à la vie privée du président de Lactalis en raison de la divulgation du nom et de la localisation de sa résidence secondaire est justifiée par le droit à l'information du public.
France Télévisions a diffusé un reportage dans une de ses émissions consacrée à la crise de la production laitière intitulé « Sérieusement ?! Lactalis : le beurre et l’argent du beurre ». 
Le président de Lactalis avançait qu’une séquence de ce reportage faisait mention du nom de sa résidence secondaire, de sa localisation précise et en présentait des vues aériennes. Invoquant l’atteinte portée à sa vie privée, il a assigné France Télévisions sur le fondement des articles 8 de la Convention EDH et 9 du Code civil afin d’obtenir réparation de son préjudice ainsi que des mesures d’interdiction et de publication judiciaire. 
Ses demandes ayant été rejetées par les juges d’appel, il a formé un pourvoi en cassation qui est jugé infondé.

La Cour de cassation rappelle que, pour effectuer la mise en balance des droits en présence, il convient de prendre en considération la contribution de la publication incriminée à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le contenu, la forme et les répercussions de ladite publication, ainsi que, le cas échéant, les circonstances de la prise des photographies.
Il revient au juge de procéder, de façon concrète, à l’examen de chacun de ces critères.

Elle constate ainsi qu’après avoir retenu que les indications fournies dans la séquence litigieuse, qui permettent une localisation exacte du domicile du requérant, caractérisent une atteinte à sa vie privée, l’arrêt d’appel a relevé que le reportage en cause évoque, notamment, la mobilisation des producteurs laitiers contre le groupe Lactalis, accusé de pratiquer des prix trop bas, et compare la situation financière desdits producteurs à celle du dirigeant du premier groupe laitier mondial. 

Elle relève également qu’il a précisé que l’intégralité du patrimoine immobilier du requérant n’est pas détaillée, les informations délivrées portant exclusivement sur le bien que ce dernier possède en Mayenne, où résident les fermiers présentés dans le reportage ; ces informations s’inscrivant ainsi dans le débat d’intérêt général abordé par l’émission.

Elle relève dans le même sens que ledit arrêt a énoncé que le plaignant, en sa qualité de dirigeant du groupe Lactalis, est un personnage public et que, bien que le nom et la localisation de sa résidence secondaire aient été à plusieurs reprises divulgués dans la presse écrite, il n’a pas, par le passé, protesté contre la diffusion de ces informations.

Elle note enfin qu’ il a constaté que la vue d’ensemble de la propriété du requérant peut être visionnée grâce au service de cartographie en ligne Google maps et que, pour réaliser le reportage incriminé, le journaliste n’a pas pénétré sur cette propriété privée.

Et les Hauts magistrats d’en déduire que « les juges d’appel ont ainsi examiné, de façon concrète, chacun des critères à mettre en oeuvre pour procéder à la mise en balance entre le droit à la protection de la vie privée et le droit à la liberté d’expression et ont en conséquence légalement justifié leur décision de retenir que l’atteinte portée à la vie privée (du requérant) était légitimée par le droit à l’information du public ».

La présente décision peut être utilement rapprochée de celle rendue le 21 mars 2018 qui a censuré un arrêt d’appel pour n’avoir pas procédé, de façon concrète, à l'examen de chacun des critères en cause et, notamment, n’avoir pas recherché, comme il le lui était demandé, si le public avait un intérêt légitime à être informé du mariage religieux d'un membre d'une monarchie héréditaire et du baptême de son fils (Cass. 1re civ., 21 mars 2018, n°16-28.741).
Source : Actualités du droit